Ouais, bon. C'était pas ce que j'avais prévu et ça ne vaut pas grand-chose mais je voulais quand même écrire pour ce mot.
Elle a peur et la peur est comme un animal, comme un ver solitaire qui la bouffe de l'intérieur. C'est horrible le ver solitaire, ça vous empêche de manger, ça se tortille dans vos entrailles, ça fait mal et ça vous ronge, mais elle n'a pas le droit d'aller chez le médecin parce qu'il pourrait voir les bleus et elle devrait mentir et elle ne sait pas mentir donc pas de médecin et ce ver qui la bouffe de l'intérieur... Bon sang elle a tellement peur qu'elle aimerait fermer les yeux mais elle doit regarder la route sinon elle ira dans le décor et elle abîmera la voiture.
Ses paumes moites glissent sur les courbes du volant. C'est dangereux, il n'arrête pas de lui glisser des mains, mais elle s'y accroche de toutes ses forces, à ce putain de volant. Elle a les doigts crispés, serrés à s'en faire mal et ses phalanges sont blanches et le volant vibre et dévie quand elle n'y fait pas attention, la couleur vive du vernis qu'elle a mis ce matin lui attire le regard mais elle se force à fixer la route qui défile. Sa concentration ne doit pas se relâcher, non, sinon elle ira dans le décor et elle ne doit surtout pas abîmer la voiture, surtout pas abîmer la voiture, c'est la seule chose qui compte pour l'instant, continuer à avancer sans abîmer la voiture. La voiture doit rester intacte, il a dit. Il a claqué tout son fric dans cette caisse, il y tient comme à la prunelle de ses yeux, à la moindre rayure elle est morte. Morte et enterrée ou plutôt brûlée vive avec les bidons d'essence qu'il garde dans le garage et qui puent l'incendie et qui l'empêchent de fermer l'oeil la nuit. C'est dangereux l'essence, oh putain l'essence ! Elle a oublié l'essence, comment faire si la voiture n'a plus d'essence ?
Putain de caisse, elle déteste conduire, elle n'ose pas lâcher le volant, même pour tirer le frein à main. C'est à cause de lui, il conduit toujours trop vite et même quand il a bu, et depuis le dernier accident elle a envie de vomir dès qu'elle monte dans la voiture, et encore plus maintenant qu'elle est à la place du conducteur... Il la traite de chochotte parce qu'elle n'a rien eu, mais la gamine -la gamine d'en face éclatée sur le pare-brise, là, le goudron plein de cervelle, elle n'arrive pas à oublier, les images se superposent à la route et la route ne finit pas, putain qu'elle déteste cette route, elle n'en peut plus. Mais il ne faut pas qu'elle se déconcentre parce que sinon elle ira dans le décor et elle ne veut plus tuer de gamines et encore moins abîmer la voiture, parce que si elle abîme la voiture... Elle n'aurait jamais dû la prendre, non, jamais, elle aurait dû partir à pied, peut-être que si elle avait couru il ne l'aurait pas rattrapée, elle a beaucoup maigri avec cette saloperie de ver solitaire, elle est légère, elle aurait pu le distancer, peut-être, peut-être pas parce qu'il est musclé et rapide, mais peut-être... Elle aurait dû laisser cette bagnole, une bagnole neuve en plus...
Elle a peur. Elle est épuisée à force de fixer les bandes blanches qui lui donnent le vertige. Elle n'a pas décollé le pied de l'accélérateur, elle ne sait pas pourquoi, ce n'est pas comme s'il pouvait la rattraper, hein, pas maintenant qu'elle a pris l'autoroute, c'est impossible. Après tout les gens qui les ont poursuivis quand ils ont tué la gamine, ils n'ont pas réussi à les rattraper, donc aucune chance que lui il y arrive... Il dormait à moitié à cause de sa gueule de bois de toute façon, il ne l'a même pas vue partir... Mais il a entendu le moteur et maintenant il a dû appeler la police en disant qu'elle avait volé sa caisse, putain de caisse, pourquoi elle l'a prise ? Avec son moteur qui ronfle pour la frime et ses sièges en cuir qui lui donnent l'impression d'être assise sur des veaux morts. Bon sang il faut qu'elle arrête de penser à des choses pareilles, il faut qu'elle regarde la route. La route la route la route défile défile défile.
Quand elle pense qu'il ouvrait la fenêtre et le vent qui s'engouffrait à toute allure... Elle en mourait de peur... Mais il disait que c'était grisant, qu'elle était trop conne, qu'elle aurait dû sentir l'accélération, là, la vague d'adrénaline... Elle doit rouler à trois cent à l'heure au moins, la route est devenue floue et elle a envie de vomir. Elle doit ralentir, elle doit freiner sinon elle finira dans le décor et elle n'ose pas imaginer l'état de la voiture si elle rencontre un arbre à trois cent à l'heure... Ou pire, si elle rencontre une gamine... Bon sang et la nuit qui va tomber mais elle ne sait plus comment on allume les phares... Ralentis, ralentis, ralentis ! Elle serre les dents, elle serre le volant, elle écrase l'accélérateur et le frein en même temps, elle ne sait plus ce qu'elle fait.
Putain elle roule dans le mauvais sens et le camion oh putain la voiture braque braque oh putain si elle abîme la voiture oh putain le réservoir d'essence c'est dangereux l'essence si tout s'enflamme... Et le camion qui ne la voit pas venir à cause des phares éteints et le volant lui glisse des mains mais braque putain braque !
FREINE !
La lumière le choc la cervelle sur le goudron l'essence boum la douleur la peur le ver solitaire les bleus boum l'alcool la vitesse l'adrénaline la nausée boum le camion les phares la gamine la voiture boum oh putain la voiture il va la tuer la tuer la tuer il va la tuer.
BOUM.