Les Brodeurs de Mots
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 Roman n°1 : histoire

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Cabélyst
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MessageSujet: Roman n°1 : histoire   Roman n°1 : histoire EmptyJeu 9 Mai 2013 - 19:02

Message de Loli : c'est ici que l'histoire sera postée dans son ensemble.
Pour vous rappeler comment marche le Roman commun, c'est .
Pour retrouver le prologue et l'ordre des participants, c'est ici.
Et pour commenter, j'ai préféré un sujet séparé afin de garder la fluidité de l'histoire. :) Donc rendez-vous à cet endroit !



Désolééééeee pour le retard, voilà (enfin) le chapitre un ! Crazy

Chapitre 1


Je poussais un cri de douleur et de surprise. Pour la première fois, mes ailes pesaient lourd dans mon dos. Leur sensation m'était pénible, et il me semblait qu'elles tiraient sur la peau de mon dos, à deux doigts de la déchirer. Je ne pouvais plus revenir en arrière. Le Pardon m'était devenu inaccessible. Lentement, je tournais la tête vers Jonas. Son regard fixait un point lointain et invisible, et il y avait quelque chose de fièvre et d'incompréhension dans ses prunelles. Un léger tic faisait trembler les doigts de sa main ballante, et sa poitrine se soulevait par à-coups nerveux. Je souris intérieurement. Le Pêcheur ne m'inquiétait pas. Il finirait par se ressaisir, mais il avait toujours manqué de confiance en lui-même, et j'étais déjà étonnée qu'il ait eu le cran d'aller jusque-là. Je regardais Lazare du coin de l'œil. Ses sourcils légèrement froncés ombraient une lueur farouche. Tout son corps semblait tendu d'une détermination féroce, et on aurait dit qu'il avait rajeuni. Il ferait un adversaire redoutable, c'était certain. Je me méfierais davantage de Celui Que L'On Ne Peut Pas Tuer. Cependant, sa trop grande assurance était une faiblesse dont il n'avait pas encore conscience, et dont je saurais me servir. J'étais rusée et déterminée à être celle qui obtiendrait la Vie. Ils ne m'arrêteraient pas.
Lazare s'en alla presque aussitôt, et Jonas, encore hésitant, ne tarda pas à le suivre. Je restais seule avec notre hôte et son apprenti, le premier me tournant le dos, face à la cheminée, le second, indécis, nous regardant tour à tour. Je sentais que je ne devais pas partir maintenant. Quelque chose clochait. La Quête s'annonçait ardue, et pourtant tout me semblait encore trop simple. J'étais persuadée que le Diable nous avait menti. Ou plutôt qu'il ne nous avait pas tout dit. Mes pensées furent interrompues par une quinte de toux, et cela me vint brusquement à l'esprit. La réponse à ma question aurait un prix, c'était certain. Mais elle me donnerait aussi une avance non négligeable sur mes deux adversaires. D'une voix méfiante, je me risquais à la poser.
_ Dites-moi, "Lucas"... De quoi souffrez-vous exactement ?
Lentement, le Diable tourna son visage vers moi. Son regard brûlant accrocha le mien, et un sourire carnassier étira ses lèvres.

***

Quand Judith ressortit de l’antre du diable, elle était d’une incroyable pâleur, mais elle savait par où elle devait commencer sa quête. Si Lucas avait dû attendre de pouvoir faire appel à eux, le remède devait se trouver hors de sa portée. Il était donc inutile de le chercher dans les Enfers. Quoique difficilement et de manière indirecte, il pouvait avoir accès au monde des Hommes. C’est pourquoi la Vengeresse avait décidé de chercher le remède au Paradis. A présent, elle ne pouvait plus s’y rendre, mais elle pensait avoir la solution à ce problème. Elle avait subi la Chute, mais tous les liens avec le Royaume des Cieux n’étaient pas rompus pour autant. Si la plupart des Anges tournaient le dos à ceux qu’ils appelaient avec pitié « les Déchus », Judith savait qu’elle pourrait compter sur une amie de longue date.
L’ange aux ailes noires sourit et sortit du couvert végétal qui masquait l’entrée des Enfers. Elle déboucha sur un large sentier parsemé de pierres, longé de hêtres et de bouleaux au feuillage dense. La Déchue eu juste le temps de dissimuler ses ailes avant qu’une file d’enfants accompagnés de trois adultes n’arrivent au détour d’un virage. L’un de ces derniers avançait à reculons, et parlait aux gosses qui ouvraient de grands yeux émerveillés. Judith eu un sourire cynique et attendit qu’ils soient passés pour s’éloigner dans l’autre sens. Cette direction lui ferait faire un détour, mais elle sentait qu’elle ne pourrait pas cacher ses ailes longtemps. Le charme qui les rendait invisibles semblait consommer beaucoup plus d’énergie qu’auparavant, et cette partie de la forêt était moins fréquentée. Elle croisa tout de même plusieurs autres groupes de touristes, et elle pesta contre Lucas à plusieurs reprises. Elle était certaine qu’il avait délibérément choisi un endroit très visité pour installer les portes de son domaine. Quand Judith finit par sortir des bois, elle se retourna et lança un regard noir au panneau qui semblait la narguer. En haut des légendes enluminées, on pouvait lire, inscrit en grosses lettres : « Forêt de Brocéliande ».

***

La porte de l’animalerie s’ouvrit et un carillon suraigu vrilla les tympans de la cliente. Elle avait senti, dès qu’elle avait vu la façade, qu’elle n’aimerait pas la boutique. La vitrine sale perçait un mur décrépi, autrefois peint d’un jaune criard et parsemé de pattes de chat violettes. A travers le verre, elle avait vu une vendeuse d’une cinquantaine d’année en survêtement, ses cheveux bouclés attachés en chignon négligé et portant des lunettes cerclées de fer blanc. Plantée au beau milieu d’une vieille ruelle, elle avait hésité à entrer. Cependant, elle n’avait pas le choix. Il lui fallait une colombe, et elle ne pouvait pas aller autre part que dans un magasin miteux et désert. Une boutique mieux entretenue et mieux située était plus fréquentée. Or, Judith pouvait dissimuler ses ailes, mais pas les faire disparaître. Physiquement, elles étaient toujours là, ce qui posait des problèmes quand on devait cacher leur existence. La Vengeresse s’était finalement résolue à pousser la porte, et à prendre sur elle pour les quelques minutes qui allaient suivre. Elle n’avait pas vu les tiges métalliques qui se balançaient nonchalamment au-dessus de la porte d’entrée. L’ange au caractère sanguin inspira profondément, serra le poing dans sa poche et se dirigea vers la vendeuse, décidée à ressortir le plus vite possible.
Dix minutes plus tard, Judith était à nouveau dans la petite ruelle qui empestait les eaux usées. Elle avait sous son bras une petite cage en plastique percée de quelques trous. Une colombe blanche dormait à l’intérieur, la tête sous l’aile. La Déchue soupira. Il lui fallait maintenant trouver un lieu désert où elle pourrait envoyer la colombe sans attirer les regards. Elle avait pensé à une chambre d’hôtel, espérant qu’elle en aurait une suffisamment élevée dans les étages pour pouvoir lâcher la colombe par la fenêtre sans que les passants s’en aperçoivent. Elle déambula dans la vieille ville, moins fréquentée.
Il était environ vingt heures et la nuit venait de tomber quand elle trouva enfin un hôtel approprié. Une enseigne se balançait en grinçant sur le mur d’un vieux bâtiment étroit et tout en hauteur, avec des colombages décrépis et quelques encorbellements vermoulus. L’Auberge de Brocéliande avait l’air vétuste et miteux, comme si elle datait de l’époque de Merlin et n’avait pas été rénovée depuis. A vrai dire, elle paraissait totalement décalée et irréelle par rapport à l’époque dans laquelle elle se retrouvait. C’était parfait. La cage de l’oiseau calée sous un bras, elle abaissa la clenche en fer forgé et poussa la porte qui s’ouvrit en grinçant.
L’intérieur de l’auberge était aussi vétuste que l’extérieur. La porte d’entrée donnait sur une grande salle plongée dans la pénombre. Quelques chandelles posées sur des tables de bois brut peinaient à éclairer la pièce. Leurs flammes vacillantes faisaient danser les ombres des poutres et poteaux qui soutenaient les murs et le plafond. Judith avait l’impression de se retrouver dans une auberge du XIIIème siècle. Elle avança doucement jusqu’à l’autre bout de la salle. Un vieil homme y somnolait derrière un comptoir de pierres et de mortier surmonté d’une planche de bois. Il releva la tête quand Judith toussota, et lui offrit un sourire édenté.
_ Que puis-je faire pour vous ma p’tite dame ? Vous v’nez pour la soirée à thème ? Elle commence qu’à neuf heures ce soir.
C’était donc l’explication à l’état de l’auberge et aux fripes moyenâgeuses que portait le gérant. Il organisait des soirées à thèmes, sans doute en lien avec la forêt de Brocéliande, qui s’étendait juste à côté, et les légendes qui l’entouraient.
_ Oui c’est ça. Il vous reste des chambres ?
_ Z’avez d’la chance, y m’reste just’ une chamb’ là-haut. Tenez, v’la la clé. Montez les escaliers, ce s’ra tout au bout du couloir, la dernière à droite.
Judith pris la clé, remercia et tourna le dos au vieillard pour se diriger vers l’escalier qu’il lui avait montré. Elle avait failli ne pas le voir. Cachées derrière une poutre massive, dans un coin de la salle à côté du comptoir, d’étroites marches en bois montaient dans l’obscurité. Elle prit la chandelle que lui tendait le tenancier, et les emprunta jusqu’à un couloir exigu, percé d’une unique fenêtre à son extrémité.
Sa chambre était très simple mais plutôt accueillante. Sur le mur de gauche, quelques bûches se consumaient doucement dans une cheminée en pierre. A côté, il y avait un baquet de cuivre déjà rempli d’eau, avec un brôt de terre cuite et un grand carré de toile. A droite de la porte, un lit sommaire au matelas de paille faisait face à une table et à une chaise. Sur le plateau de bois étaient posés un candélabre et une boite d’allumettes, apparemment la seule concession aux temps modernes. Il y avait au pied du lit un coffre de rangement en chêne. Le mur du fond comportait une fenêtre qui donnait sur un petit jardinet intérieur.
La Vengeresse posa la cage sur la table et son sac sur le coffre, avant de s’asseoir sur le lit en soupirant. Ses ailes noires réapparurent progressivement. Les dissimuler si longtemps l’avait épuisée, mais elle se força à se lever. Elle n’avait pas de temps à perdre, ses deux rivaux avaient sans doute commencé à chercher, eux aussi, et il fallait qu’elle conserve sa longueur d’avance. Elle souleva le loquet de la cage et prit la colombe dans ses mains. L’oiseau se réveilla, sortit la tête de sous son aile et roucoula doucement tandis que la Déchue ouvrait la fenêtre. Judith chuchota quelques mots à l’animal et le laissa prendre son envol. Elle repoussa le carreau sans le fermer. Il ne lui restait plus qu’à attendre. Elle tira le baquet devant la cheminée et fit une toilette rapide lorsque l’eau fut chaude. Après quoi, la Vengeresse se rassit sur la paillasse, écoutant les bruits qui montaient de la salle principale. Les préparatifs de la soirée avaient commencé, et le bois raclait la pierre comme on déplaçait les tables. Des effluves de canard confit et d’agneau rôti montaient des cuisines.
Il devait être aux environs de dix heures et Judith commençait à s’assoupir, bercée par la musique, les cris et les rires qui lui parvenaient d’en bas, lorsque qu’un courant d’air fit claquer sa fenêtre. Sur le rebord, se tenait une colombe aux plumes veinées de rouge. L’oiseau entra dans la chambre, et se métamorphosa en jeune femme au milieu de la pièce. Elle avait de longs cheveux ondulés d’un noir de jais, des traits fins et une bouche pleine, et une peau légèrement mate qui faisait ressortir l’éclat saisissant de ses yeux verts. Vêtu d’une tunique blanche, son corps mince dégageait une sensualité presque palpable. Dans son dos se déployaient deux ailes blanches dont la base était écarlate. Le sang remontait en veinules dans les plumes nacrées, signe que l’ange avait eu recours au Pardon. Judith sourit, satisfaite.
_ Je savais bien que tu finirais par venir, ma chère Corruptrice.
L’arrivante fit un geste agacé de la main, sans pour autant masquer le sourire de connivence qui étirait ses lèvres.
_ Ne m’appelle pas comme ça, tu sais bien qu’Il m’a accordé le Pardon, je porte désormais le même nom que tous ceux qui y ont eu recours.
_ Bien sûr, répondit Judith d’un ton ironique. Salomé la Repentie… Tu m’accorderas que c’est un peu paradoxal. Je préfère Salomé la Corruptrice.
_ Je doute que tu m’aies demandé de venir pour me parler de mon nom, rétorqua l’ange. Je ne suis même pas censée te parler, alors dis-moi ce que tu veux, et vite. Tu es mon amie, mais s’Il apprend que je suis en contact avec une Déchue, je vais avoir des problèmes.
La Vengeresse sourit à nouveau, et tapota la paillasse à côté d’elle pour inviter son amie à s’asseoir.

***

Judith raconta la situation à Salomé. Cette dernière l’écouta sans rien dire, mais plus la Déchue avançait dans son récit, plus la Repentie fronçait les sourcils, devinant où elle voulait en venir. Quand la Vengeresse eut finit, elle secoua la tête en soupirant.
_ Et donc, je suppose que tu comptes sur moi pour aller chercher ton fichu remède au Paradis.
L’idée ne l’enchantait pas du tout. Elle risquait d’avoir de très sérieux problèmes s’Il découvrait qu’elle aidait une Déchue, et, de manière indirecte, le Diable. Judith le savait pertinemment, mais elle comptait bien ne pas lui laisser le choix.
_ N’oublie pas que tu as une dette considérable envers moi, Corruptrice.
Elle avait insisté sur le dernier mot. L’interpellée grimaça.
_ Je ne l’avais pas oublié, crois-moi.
Elle inspira profondément avant de poursuivre.
_ Soit. Tu as au moins une idée du remède que tu cherches ?
_ Tu sais très bien auquel je pense. Le seul qui soit capable de tout guérir.
C’est ce que Salomé craignait. Les choses allaient devenir très compliquées.
_ La Panacée… dit-elle doucement en hochant la tête.
_ Oui.
_ Mais personne ne sait où il se trouve, Judith, et le Royaume des Cieux est vaste. Je ne sais même pas à quoi il ressemble. Certains disent même qu’il ne s’agit pas de quelque chose de concret. Certains évoquent l’Amour, d’autres la Foi, d’autres encore l’Espoir.
_ Ce ne sont que des rumeurs, Salomé. Lui et ses Archanges savent. Je suis convaincue que tu arriveras à avoir les informations nécessaires. Maintenant va, nous n’avons que trop tardé.
La Repentie hocha la tête, se leva et se transforma en colombe avant de s’envoler par la fenêtre restée ouverte.
Une fois qu’elle fut partie, Judith se leva à son tour et alla fermer la fenêtre. La Vengeresse était très satisfaite. Salomé avait beau être une séductrice sûre de ses charmes, elle était facilement manipulable. Grâce à elle, la Déchue pourrait chercher un remède ailleurs, sans perdre de temps. De plus, elle ne courait aucun risque avec cette intermédiaire. Si la Repentie se faisait prendre, elle ne parlerait pas de Judith, car se serait s’exposer à un plus grand châtiment. Or, Salomé avait pour Lui cette peur religieuse et viscérale qu’avaient les anges qui avaient encore la Foi. Oui, La Vengeresse était satisfaite.

Fin du chapitre 1
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